anglais

mardi 3 novembre 2020

 Covid or not covid ?



Une nouvelle espèce est née : les covidés.

Rien à voir avec les corvidés, ceux là se rassemblent par grappe en poussant des cris fracassants dans les futaies, des platanes de préférence. 

Les covidés Non ! Ils sont posés au sol, avancent souvent isolés, et quand ils se croisent, c’est pour s’éloigner. Ou alors ils se mettent à gesticuler, tantôt du coude, tantôt du pied, tantôt les mains jointes si elles sont libres.

Tandis que les premiers ont un large bec, d’où ils peuvent faire tomber une proie, les autres sont masqués (pas comme le concombre), et résistent à le faire tomber (le masque).


Il faudrait les chatouiller !

C’est une suggestion.


Comme ils s’ennuient beaucoup, ils sont tous munis d’une petite boite rectangulaire, qu’ils agitent comme un hochet. Si bien, que la plupart du temps, ils avancent penchés.

On a des craintes, car ils se répandent rapidement partout.

A force, de basculer ils accélèrent le mouvement de rotation de la terre, et par voie de conséquences celles des autres planètes. Pas besoin d’être un scientifique pour saisir tous ces dérangement climatiques, les perturbations qu’ils entrainent sur les cycles vitaux, et que dire de toutes les plantes écrasées sous leur poids!

Ils ont aussi des boites plus grandes, dans lesquelles ils s’engouffrent à intervalle régulier. Alors là, ils sont vraiment plus bruyants, que n’importe quelle autre espèce.

D’abord le tintamarre est continuel, toujours surprenant. Parfois ils ont l’air de vouloir s’arracher du sol pour arriver plus loin qu’eux mêmes, dans la quête d’un au-delà qui les satisferaient immédiatement et momentanément. Cela leur permet aussi d’accaparer tout le terrain.

Pendant ce temps-là, lui le corvidé en profite pour lâcher sur les routes des noix afin de les rendre consommables, un truc pour se rasséréner.

Dans cet habitacle leur attitude est aussi étrange. Ils peuvent montrer leur poing, agiter leur doigt, se déplacer en saccades, à la queue leu leu ou rusés, triomphant en un déplacement inopiné. Ceci étant bien souvent en proportion du volume de leur espace.

Quand ils en sortent, ils rentrent dans des cases rectangulaires plus grandes encore, mais pas à l’égal pour tous. Il semble, qu’ils n’aiment pas les formes rondes, l’absence de  repères peut-être ? Il leur faut des angles aigus, pointus voir obtus.

Importante est pour eux la nécessité d’ériger, même si dans un relâchement festif, voire immoral, ils leur arrivent de culbuter les uns sur les autres.

Tout ceci au détriment des coccinelles, des scarabées, et même des abeilles, qui soit-dit en passant n’ont pas du tout le même comportement et n’ont strictement rien à voir, ni à montrer à cette espèce. Pourtant leur bourdonnement persistant pourrait les instruire.

Seulement voilà, ils leur arrivent aussi de porter un casque, ce qui accentue leur singularité, leur gestuel et leur métronomie.

Une espèce plus chaleureuse voire plus voluptueuse : les bovidés pourraient les satisfaire. Le problème est que ceux-là n’arrêtent pas de brouter, de se remplir quoi, et de se vider par la même occasion. De plus ils les regardent avec une totale indifférence.

Que faire ?

Construire des cabanes dans les arbres et attendre que le temps passe.



Yverdon, le 27 octobre 2020                                                                                     Chantal Quéhen










Corneille
 encre sur carton
32x22cm














jeudi 25 mai 2017

Itinerrance

Colombier, le 7.07.2016

Le manoir du Pontet

Dans sa correspondance fournie à Isabelle de Charrière, Benjamin Constant écrit le 21 février 1788 : "Tant que vous vivrez, tant que je vivrai, je me dirai toujours, dans quelque situation que je me trouve : Il y a un Colombier dans le monde. Avant de vous connaître je me disais : Si on me tourmente trop, je me tuerai. A présent je me dis : Si on me rend la vie trop dure, j’ai une retraite à Colombier."

Il fait 30°
Vous êtes à Yverdon, toujours à pied. Vous vous informez du trajet en train pour Colombier. Vous n'avez pas le choix vous devez aller jusqu'à Neuchâtel, puis prendre un régional qui revient en arrière. Si vous voulez un peu plus de détails, une dame de l'office de tourisme derrière son écran, vous signifie avec un certain dédain, que cela ne la concerne pas. Colombier est dans un autre canton
Vous sortez de la gare du lieu-dit, vous n'avez plus qu'à descendre jusqu'au chemin du Pontet, qui jouxte les remparts, au bout vous découvrez le manoir.

La gentilhommière a plusieurs ailes. Droit devant, vous passez une porte cochère sous une galerie, soutenue par un pilier déployé en deux branches. Au centre de la cour intérieure prône un immense tilleul, dont l'odeur mielleuse se répand partout, exténuant les abeilles. Vous croyez entendre le piétinement des sabots sur les galets, et le holà ho du postillon.
Vous vous approchez de la tourelle d'escalier, au dessus de la porte une date : 1614, soit plus d'un siècle et demi avant la venue de Mme de Charrière.
Maison, communs, dépendances, tout semble habité, mais vous ne croisez personne.

En sortant de la cour à droite, vous entrez dans l'espace d'un jardin d'enfants. Se trouvent sous une tonnelle, une table à moitié desservie avec pichet, bouteille d'eau, panier, assiettes empilées, photophores, chaises métalliques, un bric à brac contemporain.
Et toujours pas de rencontre, sauf à l'écart de la table, une statuette féminine en pierre blanche.
Vous poursuivez votre découverte, tout vous semble dans un fouillis et un abandon contrôlé, friche et quelques parterres de plantes médicinales.
Vous choisissez un point de vue et à l'ombre, pour peindre à l'aquarelle, la façade en pierre jaune et la galerie suspendue, ombrée par un figuier envahissant.

Soudain, une dame affairée fait irruption dans le jardin. Elle vous salue de la tête, tout en cherchant quelque chose dans tous les coins. Elle vient vers vous : vous n'avez pas entendu une sonnerie ?
Vous lui répondez que si, sans en être certaine. Elle n'arrête pas d'aller et venir entre les différentes entrées du manoir. Vous lui proposez de l'appeler avec votre portable, et d'enregistrer son n° à la lettre A (comme alléatoire). Une dizaine de minutes plus tard, elle vous crie : je l'ai retrouvé dans mon sac oublié dans la voiture. Vous vous demandez, comment vous avez l'oreille si fine !

Un peu plus tard, c'est un chat noir, qui s'avise de laper votre eau d'aquarelle. Par acquit de conscience, vous voulez lui mettre de l'eau propre, mais il dédaigne et s'en va clopin-clopant. Lui manque une patte!

Une brise légère dans la ramée du noisetier, il est temps de partir aussi.





dimanche 30 avril 2017

Machin Machine

Machin, machine

Il est 13h05, vous attendez le train Allaman-Villeneuve pour descendre à Vevey. Vous êtes sur la voie trois à la gare de Morges.
Au-delà sur une voie de garage, un attelage de wagons de fret, rempli de matériaux inertes avec deux citernes, est poussé par une locomotive rouge. Un cheminot en vêtement fluo orange, casqué coordonne au sol l'avancée du train vers deux motrices vertes accouplées. C'est un saboteur !
Tantôt, il s'infiltre entre deux wagons pour les relier, tantôt il glisse une sorte de patin (le sabot) sur le rail pour freiner le chargement. Il lui faut beaucoup d'adresse, de sang-froid et de force physique pour un tel travail.
Crissement, cliquetis, martèlement, grésillement du talkie-walkie, passage violent d'autres trains, constituent son environnement sonore. Peu de femmes dans ce monde machi(ni)ste, pour dire que les mâles aiment le fer... malgré le genderqueer.
Soudain un coup de sifflet, pas de train stationné, mais sur le quai quatre, un étrange monsieur suit les faits et les gestes de l'ouvrier (tout comme moi), sautillant de long en large (tandis que je suis debout), et balayant ses bras à droite, à gauche pour faire circuler un train fantôme. Un dernier coup de sifflet, notre chef de gare disparait sous une voie.

Près de moi, assis sur un banc un jeune homme au style estudiantin visionne en souriant son i-phone. Il a appuyé à un pilier son skate à une roue. Évidemment si vous aviez suivi la trilogie Retour vers le Futur, vous connaitriez l'hoverboard (planche électrique, avec capteurs pour suivre vos mouvements) ! De là, à le pratiquer ...
Pas de haut parleur cette fois, pour un passage de train ou d'entrer en gare, à peine un ralentissement chuinté qui nous fait tourner la tête ensemble et nous précipite.
Du haut de sa cabine de pilotage, le conducteur semble nous narguer. Sa machine toute puissante fuit devant nous. Vous éclatez de rire, tandis que le garçon stoïque vous lance :
"Bon, de toute façon, il y en a des tas d'autres!", tout en reprenant sa lecture visuelle et son écriture tactile.

Un peu plus tard dans le compartiment, vous êtes assis face à un homme. Il a l'air d'un manouche, son teint est basané, ou plutôt bronzé. Sa tenue vestimentaire est décontractée, basket et sac à dos. Il en sort un objet que vous prenez d'abord pour un livre. La couverture est faite de deux planchettes en bois reliées par une broderie au crochet. Vous vous apercevez, qu'il s'agit d'un i-pad pris en sandwich. Comme la curiosité vous titille (vous n'avez jamais vu ça!) vous lui demandez la provenance de l'objet ?
"Je l'ai fabriqué moi-même, dans de l'iroko", dit-il en le posant verticalement sur la tablette à côté des sièges. Vous voyez, qu'il lui manque une phalange à la main droite.
"Comme ça, il ne peut pas m'échapper des mains. Sinon ces appareils en plastique glissent comme des poissons, et se retrouvent au fond du wagon. Le mien, je lui évite les chocs. Et puis, je peux facilement me selfier !" tout en posant devant son bijou techno artisanal.
Vous apprenez qu'il habite depuis plus de 60 ans à Lausanne, qu'il est menuisier retraité, et qu'il l'emmène en balade partout, son doudou d'i-pad !





















St-Sulpice, le 29 avril 2017 Chantal Quéhen







mardi 21 mars 2017

Matin ordinaire

Matin ordinaire

Il est 6h50, vous vous réveillez toute habillée de rêves. Parfois, cette filmographie onirique vous imprègne tellement, qu'il vous semble que la nuit est plus importante que le jour. Vous saisissez un livre, "Jeune homme" un pavé littéraire de Karl Owe, cadeau d'anniversaire de février passé. Vous aimez cette écriture libre, ces énumérations de noms communs ou propres. Une urgence pour la mémoire de cet homme sensible décryptant les êtres, et les choses, tel un miroir à facettes dans la pure clarté des paysages norvégiens.
Le livre tombe de vos mains, retourner dans les limbes ?.
Le jour se dévoile un peu partout, à travers le volet roulant de la chambre, et la porte vitrée du bureau. Vous sortez du lit.
Les stores à lamelles dans l'atelier sont baissées. En les levant, vous découvrez la barre plombée sur le Jura. La météo n'est pas infaillible. Ouf ! c'est préférable de voir que tout n'est pas sous contrôle. Curieux, n'est-ce pas de toujours vouloir laisser la direction de nos vies à des instances déifiées : ILS ont dit, ILS ont prévu, ILS ont augmenté, ILS ont prévu beau temps le matin, nuageux l'après-midi. Des ILS qui isolent, nous emprisonnent.
En segments perlés les gouttes d'eau se figent sur les baies vitrées. Ce n'est pas une averse, mais
une première pluie printanière. Vous vous réjouissez de son absorption par la terre et de la floraison qui s'en suivra.
Vous avez mis votre yucata carmin à motifs de grues dorées ou blanches et fleuris, un cadeau de votre aimé. Vous faites de rapides ablutions à l'évier en bakélite, une douche quotidienne n'est pas systématique. Jusqu'à l'entrée de votre adolescence, la salle de bain était une pièce inconnue !
Sur la table de bistrot au plateau parsemé de mosaïques (c'est vintage !), vous posez un set de table en coton, une tasse blanche et sa soucoupe, une assiette blanche à dessert, deux cuillères à café (une pour la confiture d'abricot faite maison ou le miel de Serbie d'un ami, l'autre pour le liquide), votre paquet Pain de Fleurs de tartines croustillantes au sarrasin, sans sel ni sucre ajouté, et sans gluten. Non, vous n'êtes ni bio, ni vegan, ni végétarienne, ni végétalienne, ni crudivore, ni insectophile, ni publivore... vous êtes seulement atteinte de sensibilité aiguëe chronique. Il n'empêche que la cuisson du pain titille encore vos narines.
Vous êtes amatrice de café. Dans le Pas-de-Calais la cafetière cabossée en aluminium chauffait en permanence sur le fourneau à charbon. Vous trempiez vos tartines au pâté ou avec des sprats fumés dans un breuvage clair chicorée -café. Maintenant vous allumez la cuisinière électrique, et mettez une bialetti moka deux tasses, sur la plaque, qui rougeoit instantanément. Les grains moulus répandus exhalent un fumet torréfié exotique dans tout l'espace. Vous revient l'image de Jacques Chessex et sa panoplie de bialetti de toutes tailles. Si vous avez de la visite vous utilisez l'autre, à quatre tasses.
Tandis qu'entre vos dents craquent les biscottes, l'animateur de radio Espace2 propose un jeu. Vous devez deviner la voix d'un acteur dans un monologue du Cid. Vous savez qu'il s'agit de Gérard Philipe, mais n'êtes pas assez prompte pour tenter le coup. Dans votre jeunesse, vous en étiez fan ou groupie, surtout de Fanfan la Tulipe, aventurier romantique !
Il est temps de changer de vêtement, vous optez pour un jean, et chemise rayée fleurie, aussi japonisant. Passe-partout ces jeans ! On peut les tordre, écrire dessus, les déchirer, les délaver, ne pas les laver, s'essuyer les mains. Avec vos escarpins Louboutin, vous devenez tellement chic et snob. Ce matin, vous mettez vos bottines en cuir achetées il y a trois ans chez Vögele à nonante neuf francs et nonante centimes, qui vous vont encore très, très bien. La preuve vous les avez déjà fait ressemeler trois fois !
Vous décidez de faire des muffins, (sans gluten of course !) six en tout, car la plaque a six trous.
Pas seulement pour le goût, mais pour l'odeur et Lui faire plaisir. Vous pensez aussi au repas du midi, (Il est gourmand) et ouvrez la porte du réfrigérateur. Une aubergine, tiens pourquoi pas une moussaka! Des pommes de terre, il en reste, la sauce tomate il y en a. Tandis que les petits gâteaux gonflent, vous remplissez une machine de linge, sans la mettre en route. Puis, dans la chambre, hop ! remettre en place les oreillers, la couverture, aérer (très important le changement d'air) ranger deux pantalons, quatre tee-shirts (dits aussi basiques,ou encore tricots de peau en Afrique).
Après vous listez vos courses, même si la plupart du temps vous improvisez les menus chez le boucher, soit en vous laissant attendrir par les belles escalopes de poulet ou le foie de veau sanguinolent, soit en succombant au filet tout frais et rose de féra. Chez l'épicier Bruno vous parachevez par les légumes de saison et les fromages auvergnats. Le pharmacien, c'est au cas où vous ne trouvez pas votre paquet Pain de Fleur, de chez l'épicier. C'est quasiment le même prix un peu plus de cinq francs, presque le coût d'un pain d'épeautre chez le boulanger, patissier, chocolatier K.Pultau, d'à côté.
Vous enclenchez votre smart-phone, au cas où un message vous signale que le crédit de votre compte bancaire a augmenté (l'annonce n'est jamais le contraire). Vous mettez en marche votre ordinateur pour supprimer une infinitude de messages tous plus abscons les uns que les autres, car ils ne vous touchent pas. Ça parle de partis politiques, de sex-appeal ou à pile, de financements positifs ou négatifs selon les dons que vous avez, de la meilleure affaire à faire actuellement chez Migros, ou à la Coop ou chez Ochsner. Vous agendez les rendez-vous culturels, gardez les courriels d'ami(e)s, en attente et oubliez de leur répondre.
Vous êtes à cran, la toute nouvelle imprimante A3 péclote et le scanner A3 se plait à faire des stries artistiques de vos images. Pas de courriel du vendeur. Plus facile de faire fonctionner une machine à laver ! Votre petite édition attendra...
Un arôme vanillé se répand dans l'atelier, les muffins dorés au maïs sont cuits.
Vous emmanchez votre doudoune coulis de cassis, attrapez le parapluie du même ton, et sortez.
Douce est la pluie sous le martèlement du pic épeiche.
Il est 8h50

St-Sulpice, le 18 mars 2017 Chantal Quéhen








samedi 16 avril 2016

Les tulipes hybrides

Tulipes Encre 25x25cm

La pluie crépite sur le parapluie. Elle commence tout doucement en feu de brindilles, puis s'installe régulièrement en vos pas. Vous aimez le printemps pour ses contrastes : infinies nuances de vert, ponctuées de jaune d'or ou de blanc nacré, sur fond gris ardoise des Alpes et vif-argent du grand lac.

L'été, le soleil absorbe tout, vous le fuyez.
A moins qu'il ne vous emmène sur les hauteurs, comme la saison passée à Bettmeralp dans le Valais, car dans l'atelier aux baies d'aquarium, le thermomètre dépassait les 40°.

La pluie, vous y êtes habituée. Les ciels du Nord trempés comme une serpillère vous accompagnaient sur le chemin de l'école, la plupart du temps. Cape, Capuche et bottes de caoutchouc, transie du froid humide ou mordue par la bise, vos pantalons mouillés.
Tantôt le brouillard en vraie purée de pois, vous faisait raser les murs des maisons de brique rouge, presque chaud leur contact ; tandis qu'apparaissait titanesque, le terril et sa couverture anthracite. Les ogres se promènent toujours dans l'enfance, vous étiez au bord de votre histoire.

La pluie vous ramène des décennies plus tard à Brasilia, une capitale contemporaine avec un ciel immense toujours en mouvance, une mer inversée. Soudainement des cataractes d'eau s'abattent sur la ville et sur vous. Pas le temps de s'abriter, vous êtes rincée chaudement. Vous êtes pris d'un fou rire et vous essorez votre T-shirt telle une serpillère... en pensant à la wassingue de votre enfance... Dix minutes après, vos vêtements sont secs ! Un ailleurs, les Tropiques.

Photo CQ. 2016

Le bouquet de fleurs cueillies ce matin : pissenlits, branche de Forsythia, renoncules, pervenches, lamier, branche de noisetier est souvent une allégorie du jardin maternel. En toutes saisons il fleurissait et enjolivait la cité minière, dont le moindre espace était plutôt dévolu au champ de pommes de terre. Bref, vous êtes née dans les roses et la fumure du crottin de cheval, qu'on allait ramasser à la pellette sur les routes.

Est-ce la raison pour laquelle, cet éminent professeur d'art d'une école valaisanne vous dit d'un ton péremptoire détester les fleurs, trop liées à la sensorialité du féminin ? Peut-être est-il allergique au pollen, au purin ; mais alors, les légumes ? Vous n'avez eu accès ni à l'espace de parole, ni à l'école d'Art.
Joncs, Encre 60x50cm

Vous pensez à des artistes comme Gaudi, observant, s'inspirant de la nature pour développer un art tout en volutes, courbes, rondeurs, ou à Gilles Clément, ardent défenseur des enclos et son jardin planétaire : « Une feuille morte tombée au sol n'est pas une souillure, c'est une nourriture. » écrit-il en 2009 ; ou encore au génial Chu Ta pour la maîtrise du trait, sa relation constante à la nature, devenu sourd et muet au monde .


De la vigne Encre Sépia 50x60cm

Vous aimez les fleurs dites sauvages, les herbes folles, la légèreté des graminées, les fleurs dites cultivées : l'exubérante pivoine, l'odoriférante fleur d'artichaut, les camaieux des anémones ...

    • Elles ont une couleur morbide ces tulipes ! martèle une de vos visites dans l'atelier.
D'un vase, des inflorescences bleu pétrole, en bec d'oiseaux se dressent sur leur tiges sèches et biscornues.
Un peu dépitée par la remarque, vous faites une réponse oisive :
    • C' est peut-être le produit de conservation, qui ne leur convient pas.
De ce fait, vous pensez à la carnation des cadavres ; au Pétrole Han, cette lotion bleu qu'utilisait votre père en 1958, aux produits cosmétiques dérivés du pétrole, et à l'être humain une espèce d'hybride bavard ?


St-Sulpice, le 17 avril 2016                                                                                                Ch. Quéhen

samedi 30 janvier 2016

Présence




Le chantier





Elle est là, présente.
Vous ne savez pas où.
Elle vous rend fébrile, agressive, animale.
Vous savez sa clarté plus intense que le jour,
Qui pénètre vos os, vous perce de toute part.
Vous criez.
La folie guette les embrasures.
Plus rien n'existe, qu'Elle.
Son souffle la précède.
Elle vous bouscule, vous renverse, vous happe.
Les eaux se retirent, le vent écartèle les ramures, le sol se meut.
La voici, dans son incommensurable beauté.
Nul astre dans le ciel n'a son éclat d'acier,
C'est un phare qui révèle des sources.
Vous l'aimez même parée d'un léger voile.
Sa disparition vous laisse exsangue,
Sa danse circulaire envoute.
Au risque de vous perdre,
L'alliance s'est fait halo.



Du côté de chez moi






St-Sulpice, le 24 janvier 2016                                                                    Ch. Quéhen


                                                                                                                     ©Chantal Quéhen, 2016






samedi 9 janvier 2016

Le vent

Lac Léman
Du Laviau St-Sulpice


Vous aimez le vent, il vous bouscule, vous traverse, vous plaque. Votre toque synthétique s'envole, vos cheveux s'entremêlent et balayent votre visage. Vous vous élancez, mais freinée par lui, votre chapeau roule dans l'eau.
Pourtant, ce vent vous donnait des frayeurs d'enfant, vous réveillant la nuit, lorsque de la haute fenêtre vous entendiez les arbres se tordre de rire, et leurs ombres gigantesques entrer dans la chambre éclairée de lune blanche.
Depuis il vous a apprivoisée !
Vous aimez son chant dans la forêt, tantôt murmure, plainte, fracas. Son rugissement sur l'eau, qu'il ourle, projette, étale à vos pieds. Tiens ! un poisson s'y trouve, brisé par une lame violente, un bois flottant, déchiré par un hameçon ? 




Sur la rive
St-Sulpice

Vous souhaitez une mort naturelle.



Dans le ciel les mouettes gémissent, ricanent tout en dansant avec lui, tandis que les colverts ballotés comme des jouets en plastique, ont l'air de bien s'amuser.



Lac Léman
Des rives



Vous croisez le pêcheur du Port Tissot, blouson rouge, bottes de caoutchouc vertes, tenant à la main une brindille, peut-être de saule. Il s'attarde sur la rive, le regard baissé comme cherchant quelque chose.
Vous aimeriez bien l'aborder, mais il file plus vite que le vent, vers sa cabane.
De temps en temps vous vous rendez à sa pêcherie, pour y acheter de la féra, de l'omble chevalier, du brochet, plus rarement des écrevisses, qu'il faut réserver. Elles sont d'origine américaine et ont envahi tout le lac, mais pas seulement ... Un grand gaillard, qui n'est pas le pêcheur, vous reçoit avec un accent slave à couper au couteau, d'ailleurs le couteau il s'en sert maintenant pour lever des filets de perche. Les mains souvent dans l'eau et le froid, ou à ramender et à nettoyer les filets de pêche, il vous dit aimer son travail, la nature et la solitude ; en quoi il attire votre sympathie.
Parfois vous croisez le héron placide, qui a élu demeure sur le toit surplombé de cages, de nasses et de tout un bric à brac. C'est un malin.




Le héron
Port Tissot



Cet air du lac Léman, la bise sans doute, annonce la saison froide, le repli chez soi et les courses feutrées dans la neige...












St-Sulpice, le 8 janvier 2016                                                                                Chantal Quéhen




                                                                                                                              ©Chantal Quéhen.2016